CPE: Le gâchis
Michel Venne
Édition du lundi 28 novembre 2005
La ministre de la Famille, Carole Théberge, ressemblait, vendredi, à un bateau à la dérive. La critique, presque unanime, faite à son projet de loi sur les services de garde l'avait complètement sonnée.
Mme Théberge a annoncé des amendements au projet de loi n° 124. Mais ces amendements ne changent rien à l'esprit général de la nouvelle loi, qui se veut une réforme. Deux aspects en particulier posent toujours problème.
D'abord, cette nouvelle loi met sur un même pied des centres de la petite enfance à but non lucratif, administrés par des parents et obligés d'appliquer un programme pédagogique, et des garderies dites privées mais à but lucratif, c'est-à-dire dont la finalité est de réaliser des profits, que nous appellerons pour plus de commodité des garderies commerciales.
Ensuite, cette nouvelle loi permettra au ministère de réduire considérablement le soutien professionnel accordé aux responsables de garde en milieu familial. La crainte formulée par beaucoup de spécialistes est que la réduction du nombre de conseillères ait deux effets pervers : d'une part, de réduire le volet éducatif des services de garde, surtout en milieu familial, et, d'autre part, de rendre plus difficile le travail de prévention auprès d'enfants qui ont besoin d'une aide particulière en matière d'apprentissage ou pour des troubles de comportement.
***
Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Charest a affiché un préjugé favorable envers les garderies commerciales. Depuis 2003, le nombre de places en CPE a crû de 15 % pendant qu'il augmentait du double, soit 30 %, dans les garderies commerciales dont les subventions ont augmenté de 31 % sur la même période. Avant les élections, le gouvernement péquiste avait instauré un moratoire pour freiner le développement du secteur commercial et pour favoriser les CPE. Les libéraux ont carrément rompu avec cette vision. Le titre même du projet de loi, qui fait disparaître le nom des centres de la petite enfance, en est une banale illustration.
Le pire, c'est que le gouvernement libéral a sciemment favorisé les garderies commerciales même si elles font l'objet d'un nombre effarant de plaintes comparativement aux CPE dont la supériorité sur le secteur privé à but lucratif a été démontrée par de nombreuses études locales et internationales portant sur la qualité des services.
Adopté tel quel, le projet de loi n° 124 aurait de plus favorisé l'expansion des chaînes de garderies commerciales et aurait permis à ces chaînes, dont rien n'empêchait la propriété d'être étrangère, de prendre le contrôle des nouveaux bureaux coordonnateurs des services en milieu familial. La ministre a promis de modifier le projet de loi pour que ces scénarios extrêmes ne puissent se produire.
Mais ces amendements ne changent pas l'orientation de la réforme qui continue de faire la part plus facile aux garderies commerciales (les exigences de la loi sont moins sévères) tandis qu'on alourdit le fardeau administratif et les contrôles bureaucratiques des CPE.
L'expansion des garderies commerciales pose des questions d'ordre éthique. La Fondation Chagnon, parmi d'autres, s'oppose à ce que l'on permette à des entreprises privées de faire du profit avec l'éducation des enfants en bas âge. Cette critique ne fera peut-être pas l'unanimité. Mais est-il permis de demander pourquoi un gouvernement qui avait promis, par ailleurs, de réduire les subventions aux entreprises, a augmenté celles accordées aux garderies commerciales au point qu'elles reçoivent aujourd'hui 85 % du montant versé à un CPE (pour les enfants âgés de 18 mois à cinq ans).
Belle façon pour un entrepreneur de se constituer un actif, à même les fonds publics, y compris d'acquérir des immobilisations qui, en vertu du projet de loi n° 124, demeurent sa propriété entière, qu'il pourra revendre, après avoir reçu des subventions pendant des années, avec un profit substantiel.
Il est clair que la privatisation du réseau est un objectif poursuivi par le gouvernement libéral sans que celui-ci eût jamais justifié ce choix ni au regard de l'utilisation des fonds publics à cette fin ni au regard de la qualité des services et des autres fonctions sociales des CPE.
***
Rien dans ce projet de loi n'est fait pour les enfants. Le nombre de bureaux coordonnateurs des services en milieu familial est encore trop réduit pour que la qualité des services éducatifs et des services de prévention soit préservée. Dans des zones rurales, le retrait de la responsabilité des services en milieu familial aux CPE locaux entraînera leur fermeture pure et simple et ne comptez pas sur les garderies commerciales pour prendre la relève : il n'y a pas d'argent à faire là.
La collaboration établie entre les CPE et les milieux familiaux, qui constituaient autrefois deux réseaux parallèles, sera rendue plus difficile, remplacée par des contrôles bureaucratiques dépersonnalisés. Tout cela sans parler (on l'avait oublié) de l'ouverture faite par la loi à des services de garde 48 heures d'affilée, jour et nuit, autre sujet de controverse.
Qui veut de tout ça ? Pas grand monde. Ce projet de loi est un gâchis. Les CPE ne sont pas immuables, et bien des choses pourraient y être améliorées. Si le gouvernement est sérieux, il va laisser mourir le projet de loi n° 124, M. Charest va «offrir de nouveaux défis» à sa ministre incompétente et confier à un autre le mandat de reprendre l'exercice sur de meilleures bases.
Entre-temps, je salue tous les parents, les éducatrices, les citoyens qui se mobilisent contre ce projet de loi et permettent à leurs concitoyens de prendre conscience des enjeux réels de cette réforme. Ceux qui leur demandent d'être moins émotifs ou moins militants sont des censeurs qui oublient que la contestation de la bêtise étatique est l'essence même de la démocratie.
---------------------------------------------------------------------------
Il fait pas mon affaire, mais vous avez droit à l'info :shock: