Garderies à 7$ (ou 9$), enfants d’un accident
Pierrot Péladeau - 25 février 2014
Augmenter les garderies à 9 $ est-il juste? Trop? Pas assez? Pas la bonne manière? Dans ce débat, rappelons-nous que l’instauration du prix unique à 5 $ avait été la solution à une désastreuse panne informatique. Et que depuis, les débats sur le retour de tarifs variant selon les revenus ont été marqués par les peurs de revivre cette crise.
Le budget Marceau annonce, à la veille d’une campagne électorale, que les garderies passeront de 7 $ à 9 $. Il est bon de comprendre le passé pour discuter de l’avenir du système de garde québécois.
Certes, nos garderies à 7 $ font l’envie des parents des autres provinces qui doivent payer des tarifs considérables (jusqu’à 1 800 $/mois, parfois même plus). Je n’exagère pas. Demandez à ma plus grande qui vit à Toronto et se cherche actuellement une garderie pour ses deux petits.
Nos garderies à 7 $ sont donc montré comme l’exemple à suivre d’une campagne politique pancanadienne réclamant des réseaux de garderies accessibles partout au Canada. Au Québec, nous en reconnaissons les bénéfices : augmentation du nombre de femmes au travail ; 5,2 milliards de plus dans notre économie ; meilleure intégration de nos enfants à l’école et dans la société.
Le mythe veut que notre système de garderies à prix unique soit un reflet du modèle québécois ou des valeurs de notre société distincte. La réalité est quelque peu différente.
L’instauration des garderies à 5 $ a été provoquée par un accident historique. Ce programme est une réaction à une crise qui aurait dû être facilement prévue et évitée.
Transition informatique mal faite
Le budget provincial de 1994 modifiait les règles d’aide financière aux parents pour un enfant en garderie en fonction de leurs revenus et charges familiales. Les nouvelles règles entraient en vigueur le 19 septembre1994. Cette date correspondait au démarrage d’un nouveau système informatique pour traiter les demandes d’aide des parents.
Sauf que ce système n’était pas du tout au point. L’effet immédiat fut des retards de plusieurs semaines des décisions sur l’aide versée aux parents, puis de l’émission de leur premier chèque.
Ce bouchon bureaucratique se transforma vite en cauchemar lorsqu’on se rendit compte qu’on ne pouvait pas transférer les dossiers de l’ancien système informatique vers le nouveau. Il faut ressaisir à la main les 25 000 dossiers familiaux de l’ancien système, plus les 10 000 nouvelles demandes en attente.
Entretemps, d’autres problèmes informatiques empêchent toute décision sur l’aide financière aux parents jusqu’à la mi-octobre.
Lorsque la machine crache enfin les décisions, on constate que le nouveau système traite des montagnes d’informations erronées. En effet, plusieurs informations vieilles de plusieurs mois étaient devenues périmées; et la précipitation avec laquelle la saisie manuelle s’est faite a produit beaucoup d’autres erreurs.
S’engage donc la valse des corrections. Ainsi, le traitement des demandes qui, selon la loi, doit prendre un maximum de 20 jours retarde souvent jusqu’à 6 mois.
Des conséquences graves
Les effets de ces pannes sont sérieux, particulièrement chez les parents à faible revenu,étudiants, monoparentaux ou participants à un programme gouvernemental.
Certains parents reçoivent plusieurs avis de décision qui se contredisent l’un l’autre. D’autres parents ne recevront aucune réponse du tout.
Des parents qui avancent la totalité des frais de garde se retrouvent vite en situation précaire. Ils s’endettent et retardent d’autres paiements. Ils endommagent leur cote de crédit. Les familles vivent dans l’anxiété.
L’impossibilité de rejoindre le service téléphonique submergé ajoute à l’angoisse. Et si, par miracle, on rejoint un préposé, celui-ci ne peut répondre, car il ne peut lui-même accéder au dossier.
Des parents sont donc forcés d’abandonner leur emploi. Pour certains, cela signifie un retour sur l’aide sociale.
Par erreur, plusieurs parents n’obtiennent pas le taux d’aide qui leur revient. Ce qui, pour certains, résulte en la fin de leur admissibilité à un autre programme gouvernemental.
Lorsque les garderies font crédit, les parents subissent la gêne et la honte, et dans certains cas l’agressivité des autres parents ou des éducatrices.
Plusieurs parents de bonne foi dont la demande est finalement refusée se retrouvent endettés de sommes considérables, très difficiles à rembourser. Plusieurs garderies se retrouvent elles-mêmes en difficulté financière. Le gouvernement devra en aider certaines pour leur éviter la faillite.
Une panne pourtant annoncée
Plusieurs avaient pourtant averti des risques de l’implantation trop rapide de ce système informatique peu rodé dont le cout final a été multiplié par… quatre.
Car ce n’était pas le premier incident. Déjà en mai 1993, son démarrage avait été reporté d’un an après que le Contrôleur des finances du Québec eût exigé des correctifs essentiels au système pour en assurer la fiabilité. Il a alors fallu trois semaines pour remettre en catastrophe l’ancien système en marche. La paralysie bureaucratique temporaire avait alors retardé les décisions jusqu’à quatre mois avec des conséquences similaires à celles décrites plus haut.
La solution : tout le monde à 5 $
Finalement, la solution était de se débarrasser du système informatique. En faisant payer tous les parents le même bas prix pour tous les enfants, on éliminait l’ordinateur et de la bureaucratie. D’où le lancement du programme des garderies à 5 $ en septembre 1997. Qui connut le succès qu’on sait. Et la difficulté d’offrir les places correspondant à la demande des parents qu’on sait aussi.
Je ne dis pas que le gouvernement et Parti québécois n’avaient pas quelque part dans leurs cartons des scénarios de garderies à bas prix unique. Mais il est certain que les pannes informatiques de 1993 et de 1994-1995 leur ont forcé la main.
Et par la suite, chaque fois qu’il a été question de remoduler le prix de la garde d’enfant en fonction de la capacité de payer des parents, le spectre et les traumatismes des grandes pannes informatiques furent évoqués en commissions parlementaires. Surtout pas question de revivre ce calvaire !
Dépendance à l’informatique
Ce récit illustre parfaitement à quel point nos règlements, programmes et services, publics ou privés, sont désormais de plus en plus dépendants de l’informatique au fur et à mesure qu’ils deviennent plus compliqués. Il montre aussi à quel point il faut contrôler le travail des firmes informatiques.
Ce récit illustre aussi à l’inverse comment certains règlements, programmes et services peuvent être beaucoup moins dépendants de l’informatique s’ils sont plus simples à gérer. Un prix unique pour tous est évidemment plus simple à gérer que des subventions individuelles dont les montants varient pour chaque famille.
On ne peut réécrire l’Histoire. Cependant, il est probable que s’il n’y avait pas eu de panne informatique, le système québécois de garderies aurait continué à se développer sur la base de tarifs réels variant selon les revenus et les charges de chacune des familles.
Il y a aussi un avantage politique à un service à bas prix unique. Les parents de la classe moyenne vont plus spontanément se solidariser avec les parents à faibles revenus dans la défense d’un tel programme social.
Le désavantage peut être que les parents plus riches n’y contribuent pas nécessairement à la hauteur de leurs moyens. Et qu’un tarif même très bas peut s’avérer encore trop cher pour des parents à faibles revenus ou grandes charges familiales.
Les systèmes informatiques gouvernementaux les mieux gérés sont souvent ceux des ministères du Revenu. On comprend pourquoi. Les conséquences d’éventuelles pannes pourraient être catastrophiques pour tout l’appareil d’État et la société entière. Plutôt que des effets uniquement sur une minorité de familles à faibles revenus qui, d’ailleurs, n’ont souvent qu’un faible poids politique.
Avant de multiplier les systèmes informatiques particuliers, il faudrait donc d’abord penser nous reposer sur la déclaration d’impôt sur le revenu. Par exemple, pour moduler la contribution des parents à des programmes comme celui des garderies. Les ordinateurs et les programmes informatiques qui traitent nos déclarations de revenus existent déjà et sont plutôt bien gérés. Et s’il y a une chose que l’État fait généralement assez bien, c’est justement collecter taxes et impôts.
Mais en gardant conscience que cela nous rend tous encore plus dépendants des ordinateurs des ministères du Revenu… et de la qualité du travail des firmes qui conçoivent leurs systèmes informatiques.
Rappelons-nous-en lorsque nous discutons de l’évolution que nous voulons donner au système québécois de garderie à 7 $.