Réforme des services de garde - Théberge se relève et fonce
La ministre tient à faire adopter son projet de loi avant Noël
Québec -- Après quelques heures de congé, à la suite de son vendredi noir où elle a craqué à l'Assemblée nationale, la ministre de la Famille, Carole Théberge, a réitéré hier son souhait de faire adopter avant les Fêtes son controversé projet de loi 124 sur les services de garde. Lorsque la question lui a été posée, elle a répondu dans son langage sibyllin que «oui, on est dans la procédure. On a tout le temps de faire les choses» avant Noël.
Revenant sur sa déconvenue de vendredi, elle a affirmé avoir trouvé ardu que l'opposition péquiste «en profite pour mettre en doute [son] intégrité» et la «traite de menteuse à l'Assemblée nationale», à propos de sa rencontre avec le lobbyiste des garderies privées, Beryl Wasjman. «Oui, j'ai trouvé ça difficile. Je pense que vous auriez tous trouvé ça difficile», a-t-elle dit.
Elle a ajouté être aujourd'hui, comme elle l'était hier, «à l'aise pour "piloter" le dossier». Tout ce qu'elle désire ? «Bien faire son travail», «avec le soutien de tout le monde, autant du caucus que des gens qui ont besoin [des services de garde] -- et là je pense aux parents du Québec. Ils ont besoin que je sois celle que je suis, c'est comme ça que je vais faire mon travail».
Selon elle, «l'opposition a changé le focus de ce projet de loi-là»... une affirmation qui semble signifier que l'opposition a mis l'accent sur certains aspects marginaux du projet de loi 124. Mais la ministre n'a pas précisé sa pensée.
Mme Théberge s'est exprimée lors d'un point de presse tenu à la sortie d'une rencontre entre un groupe de députés libéraux et trois associations favorables au projet de loi 124 : l'Association des éducatrices en milieu familial (AEMF), l'Association des garderies privées (AGP) et le Conseil québécois des centres de la petite enfance (CQCPE). Selon elle, ces groupes sont très représentatifs car ils «regroupent les deux tiers des places au Québec». Ils sont venus dire aux députés, hier, «que le projet de loi 124 répondait à leurs besoins», «qu'il reconnaissait le milieu familial» et qu'il fallait l'adopter avant Noël.
L'AQCPE est critiquée
Les trois groupes ont frappé à bras raccourcis sur l'organisme qui mène la lutte contre le projet de loi 124, l'Association des Centre de la petite enfance (AQCPE), lequel a organisé la manifestation de la semaine dernière à laquelle quelque 10 000 personnes ont participé et a fait signer la pétition anti-124 par plus de 200 000 personnes.
Selon la directrice générale de l'AEMF, Nathalie D'amours, les CPE ont sous leur botte les responsables de garde en milieu familial (RSG), des travailleuses autonomes. De plus, les CPE «détournent souvent les fonds normalement destinés au milieu familial». Pour la présidente du CQCPE, Sylvie Gingras, l'AQCPE fait régner un «régime de terreur» auprès des employées des CPE et des éducatrices en herbe. «On les menace de les congédier ou de ne pas leur donner d'emploi si elles ne contestent pas la loi 124.» Quant au président de l'Association des garderies privées, Sylvain Lévesque, il affirme que l'AQCPE a forcé des étudiants de plusieurs cégeps à signer la fameuse pétition anti-124. Selon lui, l'AQCPE est complètement noyautée par les syndicats.
Ces critiques ont ébranlé plusieurs libéraux. L'adjoint parlementaire de la ministre Théberge, le député de Saint-Jean, Jean-Pierre Paquin, est allé jusqu'à dire hier que l'AQCPE «avait jusqu'à maintenant monopolisé le débat».
Jean Robitaille, directeur général de l'AQCPE -- qui représente au-delà de 700 CPE --, préfère ne pas répondre à ces attaques. Il se contente de souligner que deux des trois organismes que la ministre consulte et auxquels elle se fie ne sont «aucunement représentatifs de leur milieu». D'abord, le CQCPE représenterait environ une soixantaine de CPE depuis les défections des dernières semaines; un chiffre qui a été repris hier par le député péquiste Camil Bouchard. En point de presse, sa présidente, Sylvie Gingras, a revendiqué environ 140 membres.
La question du faible membership du CQCPE avait d'ailleurs conduit le vérificateur général à faire une enquête sur l'attribution, par la ministre, d'une subvention à cet organisme favorable au projet de loi 124. Hier, le vérificateur Renaud Lachance a révélé son rapport, qui conclut que la subvention de 98 250 $ versée à cet organisme était «conforme», mais que les critères de la ministre mériteraient d'être précisés.
Quant à l'AEMF, M. Robitaille estime que, avec ses quelque 3400 membres sur 14 000 RSG, elle ne représente qu'environ 15 % d'entre elles. En point de presse, Mme d'Amours a déclaré que, selon elle, malgré tout, elle représentait «toutes les RSG du Québec» puisqu'elles étaient «toutes bienvenues dans» son organisme.
Amendements
La ministre Théberge n'a pas précisé hier à quel moment, dans les prochains jours, les amendements promis seraient déposés. Selon son adjoint parlementaire, le député Jean-Pierre Paquin, la décision devait être prise hier après-midi. Mais, au moment de mettre sous presse, on ne savait toujours pas quand aurait lieu le dépôt des amendements, ni à quel moment, d'ici la fin de la session, le 21 décembre, le projet de loi sera étudié article par article.
Par ailleurs, la ministre insiste toujours pour qu'il y ait quelque 130 «bureaux coordonnateurs» qui prennent la relève des 884 CPE (sur 1004 en tout) gérant actuellement le milieu familial. Chose certaine, si les bureaux se retrouvent toujours dans le projet de loi, ni l'opposition péquiste, ni l'AQCPE n'appuieront la réforme de Mme Théberge. Les péquistes tenteront de bloquer le projet à l'Assemblée nationale jusqu'à ce qu'il passe «au bâillon», éventualité toutefois refusée ouvertement par Mme Théberge à quelques reprises. Quant à l'AQCPE, «si les amendements maintiennent le démantèlement des CPE, on va accentuer beaucoup la pression sur la ministre», a confié Jean Robitaille hier.
http://www.ledevoir.com/2005/12/07/97158.html