NO 2 :
Laissons-les s'amuser : l'apprentissage par le jeu chez les jeunes enfants
8 novembre 2006
Préparé par le Centre du savoir sur l’apprentissage chez les jeunes enfants
Le jeu : élément essentiel au développement optimal de l’enfant
Le jeu enrichit globalement la croissance de l’enfant et favorise chez lui l'apprentissage. Il est sa fenêtre sur le monde. Son importance est telle que les Nations Unies l’ont reconnu comme un droit spécifique de l’enfant, distinct du droit aux loisirs et de celui de se livrer à des activités récréatives . Toutefois, les occasions que les enfants ont de jouer et d’accéder à des milieux de jeu sont en pleine transformation. Transformation du jeu chez l’enfant
Les milieux physique et social où grandissent les jeunes enfants au Canada se sont transformés depuis quelques décennies. Les longues périodes de jeu ininterrompu, à l’intérieur ou en plein air, seul ou en groupe, sont de plus en plus rares.
En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la proportion de la population qui vit en milieu urbain est passée de 54 à 80 %. Plus les Canadiens vivent en ville, moins leurs enfants sont susceptibles d’avoir accès à des espaces de jeu en plein air; la technologie, la circulation et les tendances en urbanisme ont transformé leur territoire de jeu naturel. De plus, leurs parents se montrant de plus en plus inquiets de leur sécurité, les enfants se voient astreints à fréquenter des terrains de jeu aménagés avec soin mais qui, au nom de la sécurité, limitent la stimulation.
Par ailleurs, de plus en plus d’enfants passent de longues heures dans des groupes qui, étant axés sur des activités structurées de nature éducative et ludique, laissent peu de place au jeu libre, ouvert et autodéterminé. Selon l’Enquête sur les attitudes des Canadiens à l’égard de l’apprentissage, les parents estiment que, pour les enfants d’âge préscolaire, le jeu est plus important que l’enseignement organisé; paradoxalement, un nombre croissant d’entre eux inscrivent leurs tout-petits à des cours et à diverses autres activités structurées. Ainsi, entre 1999 et 2003, le pourcentage de Canadiens âgés de quatre et cinq ans inscrits à des cours structurés (gymnastique, arts martiaux, etc.) est passé de 23 à 30 %, et le pourcentage de ceux participant à des sports organisés, de 36 à 41.
Qu’apprennent les enfants par le jeu?
Le jeu enrichit globalement la croissance de l’enfant : il constitue le fondement des compétences intellectuelles, sociales, physiques et affectives nécessaires pour réussir à l’école et dans la vie; il ouvre la voie à l’apprentissage.
Ainsi, jouer avec des blocs ou construire un château de sable permettent d’acquérir une capacité de raisonnement logique, mathématique et scientifique ainsi que de résolution cognitive de problèmes, tandis que le jeu de mains favorise l’autodétermination sociale et affective et pourrait avoir une importance particulière dans l’amélioration des compétences sociales chez les garçons. Jouer favorise la pensée créative et la souplesse intellectuelle. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de faire les choses, puisque le jeu comporte de multiples possibilités : une chaise peut servir de voiture, de bateau, de maison ou de lit.
Le faire-semblant favorise la communication et permet de mettre en valeur les compétences conversationnelles, l’importance d’attendre son tour, la mise en perspective et les moyens de résoudre des problèmes de nature sociale – persuasion, négociation, compromis et coopération . Il exige des compétences complexes en communication, puisque les enfants doivent savoir exprimer et comprendre le message : « ceci est un jeu» : au fur et à mesure que l’enfant s’améliore dans son faire-semblant, il commence à dialoguer à divers niveaux simultanément, devenant acteur, metteur en scène, narrateur et public , se glissant successivement dans divers rôles.
Lorsqu’ils jouent, les enfants acquièrent des connaissances en combinant leurs idées, leurs impressions et leurs intuitions avec leurs expériences et leurs opinions. Ils échafaudent des théories sur leur monde et les mettent en commun. Avec leurs pairs, ils se créent une culture et un milieu social. Le jeu leur permet de donner un sens – ou un non-sens – à leurs expériences et de découvrir l’intimité et la joie associées à l’amitié. Lorsqu’ils le dirigent eux-mêmes, le jeu les fait se sentir compétents et leur donne confiance en eux.
Les jeunes enfants apprennent ce qui importe le plus non pas par des explications, mais bien en développant eux-mêmes leurs connaissances par une interaction avec le monde physique et avec d’autres enfants, et ce, par le jeu .
Les enfants ne jouent pas pour apprendre, même s’ils apprennent en jouant .
La valeur pédagogique du jeu ne réside nullement dans l’utilisation qui est faite de celui-ci pour enseigner aux enfants un ensemble précis de compétences par l’entremise d’activités structurées qualifiées de « jeux ».
Favoriser le jeu chez l’enfant ne consiste pas simplement à déclarer que le jeu est important. Lorsque la culture du jeu enfantin, qui ne survient pas naturellement, est prise au sérieux, les conditions optimales sont créées avec soin pour l’encourager. Il faut prévoir du temps et des espaces pour le jeu et offrir une abondante stimulation mentale et matérielle à l’enfant. Créer un milieu de jeu riche, c’est créer un bon milieu d’apprentissage pour les enfants.
L’enseignant habile rend le jeu possible et aide les jeunes enfants à s'y améliorer constamment.
Pendant la petite enfance, les processus inhérents au jeu et à l'apprentissage se stimulent l’un l’autre : le jeu inclut des dimensions d’apprentissage et vice-versa.
Certains aspects de l’apprentissage par le jeu sont évidents et d’autres, plus subtils. Ainsi, il est clair que jouer dehors favorise la croissance physique de l’enfant, contrairement à l’apprentissage qui se produit lorsqu’un enfant met sa force à l’épreuve, de façon interne ou externe : Jusqu’où suis-je capable de grimper? Pourquoi mon coeur bat-il si fort lorsque je cours? Suis-je assez brave pour sauter en bas de cette plateforme?
L’apprentissage par le jeu, aussi puissant soit-il, y est souvent accessoire, du moins aux yeux de l’enfant. Le bambin qui se concentre à superposer des blocs n’est pas nécessairement motivé par un besoin, ni même un désir d’apprendre les principes associés à la stabilité structurelle, quoique que ce puisse être précisément ce qui le fascine. Généralement, cet apprentissage n’est qu’un sous-produit du jeu et non son objet.
Importance du jeu en plein air
La nature a une incidence positive sur le bien-être physique et psychologique de l'enfant. Parents et éducateurs de la petite enfance doivent aménager les environnements de jeu extérieurs avec tout le soin et toute l’attention qu’ils accordent aux milieux intérieurs.
Les paysages naturels extérieurs procurent généralement :
• des expériences multisensorielles riches et diversifiées;
• des occasions de jouer de façon bruyante, turbulente, dynamique et active;
• divers défis physiques et des occasions de courir des risques;
• des surfaces brutes et inégales qui permettent d’améliorer la force physique, le sens de l’équilibre et la coordination;
• des éléments naturels et des éléments disparates qu’un enfant peut combiner, manipuler et adapter à ses fins propres.
Leçons d’apprentissage : promouvoir les occasions de jeu
Encourager le jeu chez les enfants
Les jeunes enfants ont besoins d’occasions variées et équilibrées de s’adonner à divers types de jeu, à l’intérieur comme en plein air. Il leur faut recevoir le soutien d’adultes et de parents avisés qui :
• prévoient de longues périodes continues (de 45 à 60 minutes) de jeu libre et spontané;
• fournissent une variété de matériaux pour stimuler divers types de jeu : des blocs et des jouets de construction pour la croissance cognitive; du sable, de la boue, de l’eau, de la glaise, de la gouache, etc. pour le jeu sensoriel; des vêtements et des accessoires pour faire-semblant; et des ballons, des cerceaux, des surfaces de grimpe et des espaces libres pour le jeu sensorimoteur;
• dispersent divers éléments pour jouer, à l’intérieur comme en plein air, et pour inciter l’enfant à se servir de son milieu pour étayer ses activités;
• donnent des occasions de relever des défis et de courir des risques appropriés à l’âge de l’enfant;
• veillent à ce que chaque enfant ait l’occasion de jouer et de prendre part aux divers jeux;
• laissent l’enfant jouer seul;
• jouent avec l’enfant selon ses règles, en dévalant la glissoire à l’occasion ou en mettant un chapeau pour incarner un personnage dans un jeu fantaisiste;
• reconnaissent l’importance du jeu salissant, du jeu de mains et du jeu absurde;
• comprennent qu’un enfant doit sentir qu’il fait partie de la culture de jeu de l’enfance;
• s’intéressent aux jeux de l’enfant en posant des questions, en formulant des suggestions et en y participant si l’enfant l’y invite.
Leçons pour tous. Même si les enfants apprennent naturellement à jouer d’eux-mêmes, nous devons tous veiller à ce qu’ils disposent du temps nécessaire pour jouer et à ce qu’ils aient des occasions de le faire. Les enfants doivent en outre avoir accès à des milieux qui favorisent un jeu riche et spontané.
C'est en jouant dans des espaces aménagés avec du matériel qui favorise l’exploration, la découverte, la manipulation et la participation active qu’un enfant apprend. La quantité, la qualité et la sélection des éléments de jeu ont une incidence sur les interactions entre les enfants. Les adultes appuient un enfant en veillant à lui donner le temps qu’il lui faut pour explorer et découvrir en jouant sans interruption et en interagissant avec lui de manière à optimiser son apprentissage par le jeu sans pour autant interrompre le flot et l’orientation de ce dernier.
Leçons pour les éducateurs de la petite enfance. Même s’il faut laisser aux enfants le temps de jouer seuls, sans les interrompre, une certaine participation adulte peut être profitable et augmenter la durée et la complexité des épisodes de jeu. Les éducateurs de la petite enfance favorisent l’apprentissage par le jeu chez les enfants en devenant eux-mêmes des joueurs, en orientant le jeu et en servant de modèles lorsqu'un jeu devient frustrant pour un enfant ou qu’il pourrait être abandonné par manque de connaissances ou de compétences. Ils leur font vivre de nouvelles expériences afin d’enrichir et de prolonger l’activité, leur posent des questions difficiles et les aident à apprendre de leurs pairs.
Dans bien des programmes pour les jeunes enfants, le « jeu libre » ne sert qu’à combler les temps morts plutôt qu’à promouvoir l’apprentissage et le développement. Même si un jeune enfant apprend beaucoup pendant les périodes structurées à cet effet, le jeu libre est tout aussi important à son apprentissage, et devrait donc être une priorité dans la planification de l’enseignement et dans l'interaction des éducateurs avec leurs pupilles. Les éducateurs de la petite enfance et les enseignants du primaire ont besoin d’une formation spécialisée pour être à l’aise d’offrir des périodes de jeu libre et autodéterminé ainsi que des expériences d’apprentissage structurées fondées sur le jeu.
Leçons pour les parents. Dans les études sur le jeu en tant qu’outil d’apprentissage, les éducateurs rapportent souvent avoir de la difficulté à convaincre les parents de l’importance du jeu; ces derniers ont donc besoin de renseignements fiables sur les avantages du jeu libre et non structuré pour la petite enfance et doivent se réserver des périodes régulières de jeu avec leur enfant.
Défi pour l’avenir
Jouer favorise l’apprentissage physique, social, affectif et cognitif pendant les premières années de vie. Pour devenir des « joueurs par excellence », les enfants ont besoin de temps, d’endroits, de matériel et du soutien de leurs parents et d'éducateurs de la petite enfance attentionnés et compétents; ils ont besoin de jouer pour le simple plaisir de s’amuser.
Dans le climat d’incertitude actuel relativement à la préparation à l’école, nous devons préserver des occasions pour les enfants de jouer selon leurs propres objectifs. En effet, si une activité sert constamment et exclusivement les objectifs éducationnels des adultes, l’enfant ne la considère plus comme un jeu, y voyant plutôt une tâche, aussi ludique puisse-t-elle lui sembler.
Comment peut-on instaurer les conditions nécessaires à l’apprentissage par le jeu?
• Veiller à ce qu’il y ait des conditions, du temps et de l’espace adéquats pour jouer, à l’intérieur comme en plein air;
• Faire en sorte que les milieux d’apprentissage pendant la petite enfance établissent un équilibre entre les jeux libres initiés par l’enfant et l’apprentissage dirigé;
• Améliorer la qualité et la portée du jeu dans les milieux d’apprentissage chez les jeunes enfants;
• Créer des outils permettant d’évaluer la qualité du milieu et des expériences de jeu;
• Énoncer les objectifs d’apprentissage visés par le jeu, tant sociaux qu’affectifs, cognitifs, créatifs et physiques;
• Concevoir des outils permettant d’évaluer l’apprentissage de chaque enfant et groupe d’enfants dans un contexte de jeu;
• Bien définir la formation préalable et continue des enseignants afin qu’ils adoptent l’éventail complet de rôles adultes dans la promotion du jeu chez les enfants;
• Promouvoir l’importance du jeu et le droit de l’enfant de jouer.
http://www.ccl-cca.ca/CCL/Reports/LessonsInLearning/LinL20061010LearninPlay.htm?Language=FR